6 décembre 2012

Lignes de forces


Arrivée à la fin du petit déjeuner.

M-N, responsable animation de la gériatrie, m'a prêtée de grandes images imprimées sur plastique : reproduction de tableau, photos de sculptures, pour l'essentiel du XXe siècle.
Premier tri instinctif qui m'amène à en sortir quelques unes du lot, possibles échos ou métaphores de ce qui se joue pour les malades que je côtoie :
le vide, l'attente : hooper, etc
l'esprit sombre, Monet
ou souffrant, torturé : Munch ( la prise de tête). 
Et le corps.
Ernest  Pignon-Ernest
J'en sélectionne une vingtaine d'autres, et armée de celles ci, de papier et de couleurs, je pars à la salle à manger.
Les grandes images sur plastiques sont idéales : grandes, souples, indéchirables, lavables... J'en distribue aux différentes tablées.
La plupart sont curieux et semblent contents qu'on leur propose quelque chose à faire. Mais la majorité se lasse vite, et les repousse. Seuls quelques-uns les regarderont ou manipuleront avec attention : Mme Desmarais, Irène, Mr Eko lorsqu'il sera éveillé, et Jacques avec un nouveau camarade...
A ma table, Mme Desmarais me reconnaît tout de suite, et me demande si je me souviens l'avoir dessiné.

Mr Hart me tourne autour, intrigué par les crayons colorés, plus que par les images. Il me demande ce qu'il peut faire. Je lui propose de s'asseoir avec moi, et lui tend papier et crayon. Il se saisit vite du orange (encore), cette fois presque sans difficulté de préhension, et trace des lignes, verticales, fines et légèrement tortueuses. Je lui parle des arbres et de l'automne. Il continue... en râlant qu'il ne voit rien , que cela ne le mène nulle part, qu'il ne sait pas où il va. C'est vrai qu'il ne voit que très mal, mais il continue. Avec du orange puis avec un vert kaki, pour tracer des horizontale cette fois...

                               


L'unité est envahie de décorations de Noël, guirlandes dans les couloirs, et suspension lumineuses en salle à manger.. Je les dessine avec l'envie de saisir toutes ces lignes comme des chemins possibles.
Lignes de force, lignes de vie, lignes de garde.

Mme Desmarais imite Mr Hart, prend feuille et crayons, et écrit non stop pendant plus d'une heure. Recto verso, son histoire, un début d'autobiographie.

G, une des étudiantes infirmières, propose à Mme Missat de se joindre à la table de dessin. 
Mme Missat, est en fauteuil toute la journée, et souvent avec Miguel C. Et m'a semblée « ailleurs ».
J'avoue ne pas m'être rapprochée d'elle , ni m'y être intéressée jusqu'à présent. Je me suis d'avantage concentrée sur ceux avec qui la communication semble aisée..
Apprivoisement ai-je dit plus haut, acclimatation..
De sa main gauche (alors que son dossier l'indique droitière) Mme Missat se saisit du crayon proposé, et commence d'elle même à dessiner.
(Les filles, les a.s. m'expliquent qu'elle comprend tout même si elle ne bouge presque plus.)
Elle dessine pendant une trentaine de minutes avec concentration, sans pause. Redressée, appliquée, scrutant tour à tour sa feuille, et – me semble-t-il le visage de G. Magie de ces petites lignes fines, qui donnent corps à une forme.
Malheureusement le déjeuner nous interrompt, Mme Desmarais pose son crayon à regret, tandis que le plus doucement du monde, j'enlève celui des mains de Mme Missat, en lui expliquant que nous reprendrons demain.

Avec F, médecin, nous discutons des groupes pour la semaine prochaine, nous sommes toutes deux d'accord pour proposer dans un premier temps le dessin au plus grand nombre. Et de constituer des groupes en respectant les affinités remarquées en salle à manger.

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