Arrivée
à la fin du petit déjeuner.
M-N,
responsable animation de la gériatrie, m'a prêtée de grandes
images imprimées sur plastique : reproduction de tableau,
photos de sculptures, pour l'essentiel du XXe siècle.
Premier tri instinctif qui m'amène à en sortir quelques unes du lot,
possibles échos ou métaphores de ce qui se joue pour les malades
que je côtoie :
le
vide, l'attente : hooper, etc
l'esprit
sombre, Monet
ou
souffrant, torturé : Munch ( la prise de tête).
Et le corps.
Ernest Pignon-Ernest |
J'en
sélectionne une vingtaine d'autres, et armée de celles ci, de papier
et de couleurs, je pars à la salle à manger.
Les
grandes images sur plastiques sont idéales : grandes, souples,
indéchirables, lavables... J'en
distribue aux différentes tablées.
La
plupart sont curieux et semblent contents qu'on leur propose quelque chose
à faire. Mais la majorité se lasse vite, et les repousse. Seuls
quelques-uns les regarderont ou manipuleront avec attention :
Mme Desmarais, Irène, Mr Eko lorsqu'il sera éveillé, et Jacques avec un nouveau camarade...
A
ma table, Mme Desmarais me reconnaît tout de suite, et me demande si je me
souviens l'avoir dessiné.
Mr Hart me tourne autour, intrigué par les crayons colorés, plus que par les images. Il me demande ce qu'il peut faire. Je lui propose de s'asseoir avec moi, et lui tend papier et crayon. Il se saisit vite du orange (encore), cette fois presque sans difficulté de préhension, et trace des lignes, verticales, fines et légèrement tortueuses. Je lui parle des arbres et de l'automne. Il continue... en râlant qu'il ne voit rien , que cela ne le mène nulle part, qu'il ne sait pas où il va. C'est vrai qu'il ne voit que très mal, mais il continue. Avec du orange puis avec un vert kaki, pour tracer des horizontale cette fois...
L'unité
est envahie de décorations de Noël, guirlandes dans les couloirs,
et suspension lumineuses en salle à manger.. Je les dessine avec
l'envie de saisir toutes ces lignes comme des chemins possibles.
Lignes
de force, lignes de vie, lignes de garde.
Mme
Desmarais imite Mr Hart, prend feuille et crayons, et écrit non stop pendant
plus d'une heure. Recto verso, son histoire, un début
d'autobiographie.
G,
une des étudiantes infirmières, propose à Mme Missat de se joindre à
la table de dessin.
Mme
Missat, est en fauteuil toute la journée, et souvent avec Miguel C. Et m'a
semblée « ailleurs ».
J'avoue
ne pas m'être rapprochée d'elle , ni m'y être intéressée jusqu'à
présent. Je me suis d'avantage concentrée sur ceux avec qui la
communication semble aisée..
Apprivoisement
ai-je dit plus haut, acclimatation..
De
sa main gauche (alors que son dossier l'indique droitière) Mme Missat se
saisit du crayon proposé, et commence d'elle même à dessiner.
(Les
filles, les a.s. m'expliquent qu'elle comprend tout même si elle ne
bouge presque plus.)
Elle
dessine pendant une trentaine de minutes avec concentration, sans pause.
Redressée, appliquée, scrutant tour à tour sa feuille, et – me
semble-t-il le visage de G. Magie de ces petites lignes fines, qui
donnent corps à une forme.
Malheureusement
le déjeuner nous interrompt, Mme Desmarais pose son crayon à regret, tandis
que le plus doucement du monde, j'enlève celui des mains de Mme Missat,
en lui expliquant que nous reprendrons demain.
Avec
F, médecin, nous discutons des groupes pour la semaine prochaine,
nous sommes toutes deux d'accord pour proposer dans un premier temps
le dessin au plus grand nombre. Et de constituer des groupes en
respectant les affinités remarquées en salle à manger.
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