4 mars 2013

“Madame, Madame..."


Mi février.

Madame, Madame, Madame, attendez je crois que j'ai perdu une petite cuillère “.

L'atelier commence par l'expression de sa désorientation. Profonde. Elle est arrivée ce matin. Je ne pensais pas la solliciter aussi vite pour le dessin. Notre rencontre s'est fait d'elle-même, et Marie-Françoise m'a suivi tout de suite et, une fois installée, a pris le crayon avec envie.
Mots discontinus, pensées idem. Gestes inconscients et peut être inconsidérés. Elle comprend ce qu'elle tient en main, reprend contact (avec le crayon), et cherche à le décapuchonner. Puis il s'agit de ce qui se joue : tenir le crayon, tracer sur le papier. Difficile de dire si c'est pour me faire plaisir, comme un vieux réflexe d'écolière qui fait pour le plaisir et la satisfaction de son enseignante... ?
Mais elle s'intéresse, s'implique, et se pose. Elle semble bien là, avec nous ( Alison et moi). Elle trace 2 cercles, je lui en trace 2 autres. Nous parlons de bulles, de lignes et petit à petit de couleurs.
Elle trace dedans, retrace à l'intérieur, le contour, déjà là, de nos 4 bulles. Elle accompagne son geste par la voix, jusqu'au point final. “Voilà, voilà, là, là, là, là, là, là, là, …. Voilàaa madame.“ tandis que sa main trace et ferme le cercle – s'arrête- sur la dernière syllabe.
Entre chaque geste, chaque tracé, elle cherche notre approbation. Maints “Ça va madame ?“, “Monsieur ?“ ( destinés à Alison, prise pour un homme). Je la félicite, je l'encourage. “ Vous êtes gentille avec moi“.
Elle avance, doucement, cercle par cercle. Elle prend conscience de son action, et reprend confiance en elle. Si en début d'atelier, elle prend systématiquement la première couleur ou matière proposée, elle arrive petit à petit à faire le choix, par le verbe, ou le geste, entre plusieurs couleurs.

D'autres réflexions accompagnent son travail :
Elle en veut un à danser, un truc comme ça“. Est-ce le cercle qui évoque la piste de danse , le tutu, la jupe, ou le cerceau... ?
Ça va pas être pareil“, lorsque je lui propose de changer de couleur.

Elle continue, persévère, passe du crayon au pinceau jusqu'à ce qu'ensemble nous décidions – et le ensemble est véridique et important- que son dessin est fini.
Son attitude, sa présence, son calme, ses capacités se sont métamorphosées pendant ces quarante minutes d'atelier. Elle repart fatiguée mais heureuse de ce qu'elle a fait. Et consciente.

Il s'agit ensuite de retourner dans ce couloir et au milieu de ces gens qu'elle ne “connaît“ que depuis quelques heures. Son inquiétude se lit immédiatement dans son attitude régressive sitôt qu'elle se trouve dans le couloir.

***

Marie-Françoise est maintenant là depuis plusieurs semaines. Son état varie d'un jour à l'autre, entre agitation, sollicitation, fatigue... Elle est revenue à l'atelier, mais il lui a été impossible de dessiner, de se concentrer sur le moment présent, et le geste, les matières proposées.


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