Mi
février.
“Madame,
Madame, Madame, attendez je crois que j'ai perdu une petite
cuillère “.
L'atelier
commence par l'expression de sa désorientation. Profonde. Elle est
arrivée ce matin. Je ne pensais pas la solliciter aussi vite pour le
dessin. Notre rencontre s'est fait d'elle-même, et Marie-Françoise
m'a suivi tout de suite et, une fois installée, a pris le crayon
avec envie.
Mots
discontinus, pensées idem. Gestes inconscients et peut être
inconsidérés. Elle comprend ce qu'elle tient en main, reprend
contact (avec le crayon), et cherche à le décapuchonner. Puis
il s'agit de ce qui se joue : tenir le crayon, tracer sur le papier.
Difficile de dire si c'est pour me faire plaisir, comme un vieux
réflexe d'écolière qui fait pour le plaisir et la satisfaction de
son enseignante... ?
Mais
elle s'intéresse, s'implique, et se pose. Elle semble bien là, avec
nous ( Alison et moi). Elle trace 2 cercles, je lui en trace 2
autres. Nous parlons de bulles, de lignes et petit à petit de
couleurs.
Elle
trace dedans, retrace à l'intérieur, le contour, déjà là, de nos
4 bulles. Elle accompagne son geste par la voix, jusqu'au point
final. “Voilà, voilà, là, là, là, là, là, là, là, ….
Voilàaa madame.“ tandis que sa main trace et ferme le cercle –
s'arrête- sur la dernière syllabe.
Entre
chaque geste, chaque tracé, elle cherche notre approbation. Maints
“Ça va madame ?“, “Monsieur ?“ ( destinés à
Alison, prise pour un homme). Je la félicite, je l'encourage. “
Vous êtes gentille avec moi“.
Elle
avance, doucement, cercle par cercle. Elle prend conscience de son
action, et reprend confiance en elle. Si en début d'atelier, elle
prend systématiquement la première couleur ou matière proposée,
elle arrive petit à petit à faire le choix, par le verbe, ou le
geste, entre plusieurs couleurs.
D'autres
réflexions accompagnent son travail :
“Elle
en veut un à danser, un truc comme ça“. Est-ce le cercle qui
évoque la piste de danse , le tutu, la jupe, ou le cerceau... ?
“
Ça
va pas être pareil“, lorsque je lui propose de changer de couleur.
Elle
continue, persévère, passe du crayon au pinceau jusqu'à ce
qu'ensemble
nous décidions – et le ensemble
est véridique et important- que son dessin est fini.
Son
attitude, sa présence, son calme, ses capacités se sont
métamorphosées pendant ces quarante minutes d'atelier. Elle repart
fatiguée mais heureuse de ce qu'elle a fait. Et consciente.
Il
s'agit ensuite de retourner dans ce couloir et au milieu de ces gens
qu'elle ne “connaît“ que depuis quelques heures. Son inquiétude
se lit immédiatement dans son attitude régressive sitôt qu'elle se
trouve dans le couloir.
***
Marie-Françoise
est maintenant là depuis plusieurs semaines. Son état varie d'un
jour à l'autre, entre agitation, sollicitation, fatigue... Elle est
revenue à l'atelier, mais il lui a été impossible de dessiner, de
se concentrer sur le moment présent, et le geste, les matières
proposées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire