Lilas
est partie il y a deux jours en long séjour au 4ème. Je
vais la chercher aujourd'hui pour lui proposer le dessin. Elle
m'accueille avec autant de joie que d'habitude, et accepte
immédiatement de descendre dessiner avec moi. Elle est tout à la
fois comme d'antan
droite et digne,
et fortement confuse
, délaissée...
Arrivée
dans les couloirs, elle contient à peine son énervement peut être
par le retour – arrière- à l'unité VH, mais que d'étonnant à
cela?
Sitôt
la porte de l'atelier franchie, elle s'apaise et notre complicité
protégée est retrouvée.
Elle
semble avoir beaucoup perdu de ses capacités*. Dans sa bouche, les
mots se mêlent, échangés. Un peu comme madame Hautey. La blonde
suit la brune.
Elle
fredonne pour parler aux oiseaux du dehors, et semble converser avec
eux...
Elle
dit avoir " beaucoup de plaisir à être ici", manie le
pinceau trempé dans le doré. Elle se réjouit avec moi de cette
séduisante couleur. Elle
contemple longuement la peinture sur le pinceau; en amas, "surtout
ça tu vois j'aime bien“. Elle tapote le pinceau avec soin, tourne,
caresse, toute au plaisir du geste, si sensuel et déterminé –
chez elle; et cette fois éternel. Elle commente tous ses gestes. "
Ohlala, qu'est-ce qu'on entend, des pétales, des pétales, c'est
très joli." Parle-t-elle des pétales sur sa feuille ou des
bruits du dehors? Tout s'entremêle mais dans son sourire.
"L
- Ce qu'il ya de plus terrible, c'est que ça (ce travail, ces
dessins), ça ne se voit pas. Après ça donne moins de valeur.
M
- Oui, je suis d'accord. Mais ce qu'il faut en retenir, c'est la
beauté de l'instant.
L-
Et je suis très contente de pouvoir le prendre. C'est vraiment tout
à fait ce qu'il me faut. Cela me plaît beaucoup."
Et
elle me nomme Séraphine.
Il
n'y a de sa part aucune forme de résistance à peindre cette fois.
Elle
est dans la contemplation et le plaisir partagé.
Elle
réfléchit avant de continuer, de poser touche et couleur suivante.
Elle réfléchit vraiment.
On
chuchote, on murmure, pour ne pas sortir de cet état de grâce.
Elle
me parle de fleurs et du printemps, je lui propose du vert. Et un
titre se dessine, “ fleurs
d'ailleurs",
“la fleur
d'or"
(entendre la fleur dort). En renversant le dessin, fleur tête en
bas, lilas réussit à lui faire des tiges.D'un point vert à un
autre, une prairie, un feuillage se forme.
*Je
revois lilas à plusieurs reprises le mois qui suit, elle me semblera
alors beaucoup mieux; fidèle à celle que j'ai connu, avec toutes
ses capacités. Sans doute ses déficiences notées le 29 mai,
étaient elles dûes au “déménagement“, nouveau lieux, nouveaux
visages, nouveaux soignants...